Samedi 28 : une journée ordinaire.
En fait, celle d’hier. C’est l’après-midi, nous entamons notre une balade kilométrique en vélo. En regardant bien sur la carte, nous dépassons parfois cette limite. Au fait, pourquoi un kilomètre ? Un coup d’oeil chez nos voisins : on y prescrit de ne circuler qu’entre gens de même confinement, de se tenir à plus de 5 mètres les uns des autres, recommandations simples et évidentes, pas de distance limite. Pour nous, les choses sont précises comme les ordres d’un adjudant. Dommage qu’elles émanent d’un éminent personnage, ministre de la République. Un qualificatif ? soyons sympa, c’est juste crétin. Il n’empêche, j’ai déjà dit : une démocratie, « c’est dirigé par le peuple, pour le peuple ». Si l’on accole le mot crétin au premier, que faire pour équilibre l’équation ? Je comprends mieux que l’on nous impose, chaque soir, sur nos écrans, le spectacle navrant d’amuseurs imbéciles ou de chroniqueurs idiots.
Trêve de balivernes, en route : il n’y a pratiquement personne. On croise une dame en voiture, elle est seule, un masque sur le nez. Elle s’écarte de notre route au risque de chuter dans les champs : je n’ai pas remarqué la couleur de ses cheveux. Plus loin, les travaux des champs. Dans notre campagne, pas besoin de faire lever l’armée des ombres, des volontaires, des solidaires : un bon tracteur suffit. Mais le printemps est aride, la terre trop sèche, ça fume. Le beau temps est précoce, les bêtes sont déjà au pré, l’herbe est belle. L’imposant troupeau de mon voisin change d’herbage : une longue file de bovins traverse notre route. Le petit hameau en bas de chez nous est près d’une voie ferrée que les trains ont désertée. Des bovins au pré, cornes coupées, l’œil vide : privées de leur spectacle, les vaches s’emmerdent.
Je retrouve, sur mon ordi, un topo que ma fille m’envoie. On y lit quelques conseils. Les médocs que je prends contre l’hypertension auraient des effets néfastes et diminueraient mes défenses immunitaires, celles qui me seront utiles au cas où … Comme d’hab, j’essaye de recouper l’info avec d’autres sources, reconnues ou antérieures à l’épidémie. Je trouve trace d’une diminution de nos ressources en zinc, et le fait que cet élément est utile à ces défenses. Justement, j’avais lu, dans le compte rendu de ce toubib US ayant soigné avec succès ses concitoyens avec le protocole marseillais, qu’il en avait enrichi la formule par une dose de cet élément. Bon, j’en rajoute juste un peu à mon automédication quotidienne. Notez bien, je fais tout avec mesure : ma quinine est naturelle, mes antiviraux à base d’huiles essentielles Ravinsara ou autre et la demi-pastille de zinc que j’ai rajouté peut- être inutilement, s’éliminera aussitôt dans mes urines.
Ce ne sont pas des médocs, pas un traitement, mais, si j’ai à faire face à l’infection et s’il ne s’agit pas de l’attaque d’une division de Panzers, mais seulement de quelques fantassins fatigués par une longue marche, ça peut faire la différence….
Le second conseil est la fièvre, dont on assure qu’elle est une défense naturelle contre l’infection et qu’il ne faudrait pas trop la contrarier. J’en prends acte et je ne boufferai pas une boite de paracétamol dès les 38,2° atteint au soir.
Au demeurant, je reste sur les recettes de mon époque : gant frais sur le front et boissons chaudes. Pour elles, notez bien, ce sont plutôt des grogs, miel et bonne dose de rhum.
A ce propos, un souvenir de famille : mon père était un très jeune homme au moment de la terrible grippe espagnole. Le décor : dans Saint Claude, capitale de la pipe, des immeubles de rapport et les appartements, Rue de la Poya, au bout d’un long corridor, éclairés à peine, très loin du soleil.
A cette époque, beaucoup mourraient. Quand mon père en parlait, je me souviens l’avoir entendu parler de ce qu’il disait être « la dernière peste ». Toute la famille était malade : quand il vit ceci, il but, selon ses dires, une pleine bouteille de Rhum Saint James, dormi, et se réveilla guéri …
Bon, j’essayerais quand même de me limiter.
Avec tout ça, je n’avais pas vraiment le moral et il n’y avait, comme d’hab, rien à la TV. Il y a peu, on m’avait montré cette tente, hôpital de campagne des armées… Même transformée en théâtre, elle me rappela un film ancien : M A S H … la guerre de Corée, terrible, les salles d’opérations sous tente, les corps ouverts, le sang qui gicle … Un peu trash, mais sans doute fidèle à la réalité.
Les acteurs sont de joyeux carabins, indécents et paillards, réfractaires à toutes discipline … et, tout au long du film, en alternance, leurs farces, sans doute odieuses, et toujours, à deux pas, les horreurs de la guerre.
Et si l’on ne guérissait de telles abominations, si l'on ne pouvait vivre, agir et faire plus qu’il n’est humainement possible, qu’en s’évadant, et, dans un rire, chasser les monstres de la nuit, ceux du « spleen » de Baudelaire, du Roi des Aulnes, ... surtout oublier le râle des mourants.
Je pense à vous souvent, soignants, toubibs, infirmières et « agents » (un très cher et très vieil ami Toubib me disait souvent son admiration pour le « petit » - on parlait ainsi avant – personnel des hôpitaux … il avait diantrement raison) –
Portez-vous, dormez et, si vous pouvez, riez, chasser les ombres de votre esprit … Ce n’est pas que de l’empathie, mais, au cas où j’en aurais besoin, j’aimerais vous trouver en bonne forme …
A plus …
NB : mes excuses à tous les adjudants dont j'ai malhonnêtement comparé les ordres avec ceux de notre premier ministre