mardi 12 mai : la grande peur ...
Dans le royaume :
Cette première journée de liberté s’était fort mal passée dans les grandes villes : pour atteindre les ateliers, on n’avait pas mis en route suffisamment de coches, ni ouvert assez de relais. Dans les lieux et quartiers où vivaient le petit peuple, on avait dû s’entasser et se presser pour atteindre les manufactures au mépris de toutes précautions. Quant à ceux qui attendaient encore l’ouverture des ateliers ou bureaux, comme les oisifs ou rentiers, ils s’étaient, dans la capitale, précipités vers quelques lieux de promenade ou berges de Seine. Ils y étaient en trop grand nombre et fort joyeux. Le premier Policier fit donner les dragons et promulgua un édit interdisant les boissons fortes. On grognait : que servaient la fin de cet enfermement consenti et nouvelle liberté si l’on devait, hors chasteté, vivre comme moinillons après leurs vœux.
En haut, on ne changeait guère de langage. On publiait, avec l’utile collaboration des échotiers, toute nouvelle pouvant faire craindre la sévérité de la maladie, comme le retour de l’infection. On avait trouvé quelques nouveaux cas, dans nos provinces comme dans les pays voisins du Grand Mongol : ils tenaient le haut des gazettes. La Faculté de Médecine n’avançait pas, publiant mises en garde au lieu de nouvelles d’espoir. La peur, que l’on souhaitait salutaire et que l’on entretenait, les conseils et suggestions lénifiantes que l’on distillait à force d’annonces et débats, avaient envahi le pays. Le peuple, déjà hébété au sortir de deux mois d’enfermement, était craintif et n’était plus en état de juger sereinement ni du traitement de la maladie, ni de l’état du royaume. La peur, surtout, avait fait son œuvre : frappé de sidération, la grande part du peuple était devenu incapable de mesurer toute chose. Peu, désormais, tombaient en maladie, et, dans les campagnes ou bourgades, on ne risquait plus guère d’être infecté, moins, à tout le cas, que de gagner avec faible mise à la loterie royale. Avec maintien de sages et usuelles précautions, le nez couvert à l’intention des autres, le mal pouvait, sans grand doute, être contenu ou réduit.
Malgré cela, le peuple restait dans la crainte : cela était déraison, comme, par manquements et contradictions, celle qu‘avait montré ou affiché le Grand Conseil. Pire que la fièvre maligne, le haut mal gagnait le royaume.
On disait, par fiction ou théorie, le Peuple juge et souverain de la Nation : à ce jour, il n’était plus qu’enfant peureux, prêt à se jeter sous les jupes protectrices de quelconques tribuns ou bateleurs.
Les plus anciens, qui avaient déjà vu de telles extrémités, étaient fort
inquiets.
Pannessières :
C’est vrai que ça craint …
La période est surréaliste … Ma petite rédaction quotidienne, par le parti pris qu’elle suppose, me force à prendre deux siècles de recul ou plus : c’est ma façon à moi de retrouver un monde « normal » et, côté maladie, une médecine qui n’est que ce qu’elle a toujours été : un art, noble certes, mais un art, pratiqué par des hommes, des vrais, ni mathématiciens ni infaillibles … Effrayant, ces peurs, quand elles passent les limites de la raison : ça conduit vers quoi ?
Ah, pour finir … je ne suis pas parmi les fans de Bigard, mais celui-là, j’aime bien … après tout, le bon sens se loge où il peut …
https://www.youtube.com/watch?v=E1NXwBKP6wQ
A plus...