14 octobre : en attendant...

 Le Roi devait prendre la parole ce soir pour le détail des mesures propres à réduire l’emprise du Mal.

 

 Comme il est d’habitude en ces circonstances, tous les échotiers faisaient leur ordinaire des supputations, déclarations de personnes avisées ou indiscrétions. Au moins, cela nous changeait des habituels faits et crimes, tous bien sordides et sanguinolents dont on nous abreuvait quotidiennement quand les nouvelles de l’épidémie venaient à manquer.

 

Les chroniqueurs et échotiers, depuis la survenue du grand mal étaient des plus débilitants. Pire, ils attisaient peurs et colères : tout faisait ventre. En outre, sous le prétexte de contredire et d’écarter les diseurs de fausses nouvelles, on combattait vaillamment quelques déclarations porteuses d’espoir. Souvent, par des titres ou des conclusions trop tranchées, on donnait pour entièrement fausses des nouvelles qui ne l’étaient que partiellement. Il est vrai qu’en ces temps agités, les muses sont vénales.

 

Pour les mesures que le Roi annoncerait ce soir, on parlait surtout, non d’un enfermement général, par trop désastreux pour nos finances, mais de mesures partielles et notamment d’un couvre-feu dans les villes où la maladie circulait à loisir. Les Bourgeois devraient se cloîtrer dans leur logis à la nuit tombée et l’on ne verrait dans leurs rues qu’ hérauts et gens d’armes, comme cela se faisait dans les temps anciens. On pouvait s’interroger sur l’efficacité d’une telle mesure et sur la raison qui faisait que les miasmes du malin n’étaient actifs qu’à la minuit…

 

Côté remèdes, on n’avançait guère : la potion vaccinale n’était pas prête et l’on n’était pas sûr de son efficacité future. En revanche, à détailler tous les stades de l’infection, on trouvait dans nos pharmacies d’utiles potions pour aider et soutenir les malades à chacune de ces étapes. Les praticiens avançaient un peu, quand les savants, en quête du remède total, courraient après la Panacée, comme alchimistes après la Pierre Philosophale… Cette dernière, du reste, aurait pu être l’ultime espoir du Grand Argentier.

 

Outre Atlantique, la lutte pour la royauté faisait rage. Les évènements étaient suivis de tous et l’on en redoutait l’issue, tant les partisans de l’actuel, bas de front, mais fortement armés, paraissaient menaçants et peu enclins à laisser la concurrence leur ravir les clés du Palais. Leur Roi Président faisait campagne à grand bruit, visage découvert, jetant masques et miasmes, se dandinant et dansant comme ces ours bernois que l'on montrait aux foires.

 

Fol il était, fol était le monde et l’on s’éloignait à grands pas de la sagesse antique :  Diogène soufflait sa lampe et rentrait dans son tonneau.