imprécations : les carabins ...
Dans la sinistre farce de la Covid, une chose m’avait paru bizarre : la scène était dépourvue de ses carabins ordinaires, indispensables acteurs des pestes anciennes : robes, masques et chapeaux, allant au-devant de leurs malades
Les temps avaient changé. Les malades attendaient en silence, et, pour les plus malchanceux, finissaient sous des machines, espérant qu’elles ne fassent pas qu' accompagner leur agonie. Un monde sans toubibs, des statisticiens aux allures de scientifiques, des « saint-Jean-bouche-d’or », des péroraisons… la médecine absente face à la maladie, étonnant ...
Mes souvenirs médicaux anciens me voyaient en sous-vêtements, un stéthoscope guettant les moindres modulations de mon souffle, de mon cœur, des mains palpant mon corps, d’autres rites étranges : dites Ah ! 33 ; la langue, les yeux, les réflexes… Je revois aussi les visites à domicile des mes premiers docteurs, renouvelées quand la fièvre était suspecte, leur visage grave et parfois soucieux, les petites interventions faites « au cabinet », qui, maintenant, se programment à trois mois en clinique…
Aujourd’hui, les consultations se font en tenue de ville, face à face, mais séparés par l’indispensable écran d’ordinateur. La gravité, le souci, apparaissent parfois, quand il s’agit de ranger le patient (de plus en plus patient) dans l’un des étroits protocoles de soins dictés et imposés. Je sors de ces visites avec la curieuse impression que l’on vient d’inventer le concept aberrant de la « télé-consultation » en présentiel …
Mon premier (mauvais) réflexe s'exprima en jurons … Nouvelle génération de toubibs : gosses de riches souvent (avec des bourses d’études misérables, des chambres et restaurants universitaires hors de portée - 10 ans à charge des parents : ça exclut beaucoup de monde …), accros aux 35 heures quand les anciens faisaient le double, accros à la vie urbaine, bourgeoise, au monde…
Et puis, je me suis ravisé : que leur dire, à eux qui ne sont que les enfants de ce siècle, partageant un idéal commun débilitant, individualiste et sans empathie… la voie choisie n’était pas la plus facile : quitte à se farcir de longues études : HEC, l’ENA leur auraient ouvert des portes peut être plus faciles ou rémunératrices.
Alors que là : se retrouver sans vraie liberté, surveillés dans leur moindre prescription, sans grande fortune et sans même l’aura et la reconnaissance dont bénéficiaient leurs anciens. Et, peut-être aussi, le souvenir de ce serment d’Hippocrate, qui les poursuit comme une injonction contradictoire dans cette société sans âme : déstabilisant …. alors, des imprécations...
Et je vais, dans mon Panthéon à moi, dresser les statues, fleurirent les tombes de leurs anciens :
Mon premier, qui recevait tous les jours à 13 h 30 ses deux douzaines de patients, qui eux ne payaient pas tous, avant d’entamer ses visites et auquel je dois peut-être la vie... Toute une vie consacrée aux malades…
Cette autre, qui répondait à toute heure du jour ou de la nuit aux détresses adolescentes ignorées par les proches …
ou ce vieil ami, une carrière entière au dispensaire et à la lutte anti-tuberculeuse au sortir de la guerre, qui avait inspecté tous les poumons du département, les miens aussi, bien sûr, et qui, à quelques mois de sa retraite, inspectait encore, à journée faite, à toute heure, au moindre instant disponible, les clichés pulmonaires qu’on lui avait confiés.
Je range mes imprécations ..