le "carnet de guerre" de mon oncle - 75 jours en 1918
Dans les "papiers de famille", un petit carnet, celui de mon oncle Georges, tenu entre sa montée au front, classes faites, le 11 juin, et son hospitalisation après blessure le 26 août 1918. Il était affecté au front dans le secteur de REIMS, au moment de la seconde bataille de la Marne et au début de l'affaiblissement des armées allemandes.
Carnet tenu à la mine de crayon. certains mots furent impossibles à décrypter ... quelques mots "supposés" ou "manquants" sont signalés : () - vert gras ... Mais j'ai dû retrouver l'essentiel du récit. quelques mots sont spécifiques au langage militaire du moment (cagna pour abri - toto pour poux - saucisse pour dirigeable ...)
Mon oncle faisait parti d'un "corps francs" ... pour savoir ce qu’ils étaient dans le dispositif militaire :
https://www.youtube.com/watch?v=hpFaBp7D9HE&t=637s
Carnet de guerre … oncle Georges - 75 jours en 1918
11 juin 1918 Belfort Nous partons cet après midi en renfort. Nous allons commencer à gagner nos 5 sous. Je note notre emploi du temps. Nous partons vers la gloire aussi grande joie sur toute la ligne. Nous garnissons le train de branches d’arbres, de bouquets.
12 juin. Vitry la ville, arrivée après 24 heures de train. Nous campons dans des baraques où nous trouvons d’autres renforts et où d’autres encore viendront nous rejoindre dans la soirée. Nous partons demain pour rejoindre le régiment qui est en déplacement.
13 juin. 4 h 30, Réveil après une bonne nuit sur la paille. Nous touchons une charge de services qui nous désespère, et en route dans les plaines jadis foulées par les Allemands. On trouve des traces de la guerre, ponts sautés et réparés provisoirement. Nous traversons là une région d’une monotonie fatigante. 8 kilomètres sans une âme, sans une maison, puis un village à moitié brûlé, l’église incendiée, le clocher fauché. Souvenirs de la bataille de la Marne. A 10 heures nous arrivons enfin à Courtisols après avoir mangé 20 kilomètres de poussières et bu notre salive. Nous trouvons ici le reste du régiment que nous venons reformer. On nous affecte à nos compagnies respectives puis nous laissons le brancard et nous allons dormir dans les prés jusqu’au soir. La fatigue nous fait faire un bon somme jusqu’au lendemain.
14 juin – Réveil à 3 h, nous buvons le jus et nous reprenons le collier et la route : toujours la plaine sans fin. La colonne très diluée pour éviter la poussière s’étend sur 1 kilomètre. A 7 h. nous arrivons dans un bois à 6 kilomètres de Croix en Champagne. Nous camperons ici jusqu’à ce soir peut-être, nous mangeons et dormons. Au loin le canon gronde, ça sent la bataille. Nous repartons à midi pour nous arrêter jusqu’à la nuit dans un bois près de Somme Tourbe. La colonne est encore plus diluée que ce matin. Dans les conditions où nous marchons, le bataillon couvre une longueur de 4 kilomètres – ce qui ne raccourcit pas la route entre parenthèses – Tout va bien quand même, je suis moins fatigué qu’hier, l’exercice me fait du bien. 9 heures du soir, nous allons repartir pour aller au cantonnement car le soleil est couché et les yeux ennemis ne peuvent plus nous voir, mais un avion allemand surgit tout à coup au-dessus de nous. Vite, sous les arbres jusqu’à ce qu’il soit parti. Nous passons la nuit dans des baraquements. Nous sommes toute une compagnie dans une baraque, ainsi l’air y a une odeur de lapinière très prononcée. Nous y dormons bien quand même.
15 juin- Repos. Nous nous nettoyons nous écrivons et nous reposons. Je m'ennuie presque à ne rien faire. Soir : je n'ai pas à m'ennuyer trop longtemps nous partons à 10h pour Somme-Suippe et avec le sac ça va tirer, heureusement que ce n'est pas trop long : 6 km, sans quoi il y en a beaucoup qui caleraient. 10 heures, en route. Comme toujours le bataillon s'étire, s'allonge sur la route dans la plaine perpétuelle. De Somme-Tourbe à Somme-Suippe, la route va d'un trait, droite comme la vertu et s'enfonce dans la nuit calme. A l’horizon de temps à autre une lueur de pièce qui tire suivi par une explosion sourde ou le point lumineux d'une fusée qui jaillit soudain dans le ciel. Sans une parole - car on n’a pas trop le souffle quand on a le sac complet sur les reins- nous traînons nos brodequins dans la poussière. Enfin la pause. Je tombe sur le talus avec béatitude et je m'endors pour 10 min. ensuite on reprend le sac et la route. à minuit nous atterrissons dans le camp pour vite se coucher.
16 juin - il fait un temps magnifique nous ne sommes plus guère qu'à 10 km des lignes ou le canon tonne. D'un coup 5 ou 6 Staaken sont en l'air une de nos saucisses prend l'air tout près de nous. Tout autour du camp dans les champs des dépôts de munitions éparpillées sur un espace de 2 km. Messe par l’Aumonier à 10 heures. Soir : je suis allé voir la saucisse et je l’ai vu descendre : c’est intéressant.
17 juin – Rien d’intéressant. Il pleut cet après midi et le front est très calme. Nous avons touché des cartouches et nous nous tenons prêt à un départ. 10 heures du soir : départ pour un camp 4 kilomètres plus près du front. Il tombe une pluie fine en abondance. Le canon tonne d’une façon plus nette et assez souvent. Par instant on entend un tac-tac lointain de mitrailleuse. Nous traversons Suippes. Il est bien moins abimé que Somme-Tourbe, quelques maisons seulement démolies tandis qu’à ce dernier il reste 3 maisons sur un village d’autrefois 3000 habitants. Près de Suippes un cimetière d’au moins 1500 tombes, comme, du reste à Somme Tourbe. Par des terrains, des bois de pins pleins de trous d’obus, sillonnés de pistes, de fossés, nous arrivons aux baraques du camp. Plus on approche du front, plus c’est minable comme couchage, enfin, on dort quand même.
18 juin – journée calme, une averse de temps à autre. On a demandé des volontaires pour le corps franc, c’est-à-dire un groupe destiné à faire des patrouilles, des coups de mains, pour avoir des prisonniers. Je me suis présenté avec d’autres camarades.
19 juin – Il pleut tout l’après-midi, on s’ennuie fermement et il ne fait rien moins que chaud. Nous allons travailler ce soir en arrière des lignes.
20 juin – soir – Nous sommes rentré du travail ce matin à 4 heures car ce n’est pas possible. Le voyage dans les boyaux est plus dur que le travail. Nous ne risquons rien, des obus, ni de rien. On entend parfois crépiter la mitrailleuse, mais c’est encore loin. Je crois que le pays n’est qu’un cimetière. Partout on en découvre sous bois. Nous avons dormi depuis 7 heures ce matin jusqu’à midi et depuis la soupe jusqu’à 3 heures. Puis une petite revue en prévision d’une visite du Général et la journée est finie.
21 juin – Pluie – un peu le matin, vent cet après-midi. Rien de neuf.
22 juin – Aujourd’hui, prise d’armes pour une vingtaine de croix de guerre. En l’honneur même, on soigne midi et soir, et cigares. Le soir, concert par le théâtre de la 4° armée. Nous avons ri pour le mois au mois. Si cela pouvait durer.
23 juin – Dimanche – Belle journée. On parle d’aller travailler cette nuit et de monter en réserve demain.
24 juin - Nous sommes bien allés travailler hier soir. Pas pénible mais les nuits sont fraîches, enfin c'est la guerre. J'ai dormi aujourd’hui jusqu'à 2h de l'après-midi et ce soir ciné par la section cinématographique de l'armée. Pas très intéressant mais cela distrait et cela nous rappelle et nous montre le civil.
25 juin – Nous nous reposons toujours. Voici 10 jours que nous ne faisons rien que dormir (20 heures) boire et manger (1 heure) et divers (3 heures) total 24 sauf les jours où nous travaillons : 2 seulement pendant les 10 jours. Tout à l’heure encore Cinéma : c’est la belle vie : ici je réengagerai.
26 juin – Nous montons ce soir en réserve. En attendant repos toujours sur toute la ligne. On tue le temps en jouant aux cartes.
27 juin – Nous sommes installés dans un bois à 3 ou 4 kilomètres des lignes et en arrière des lignes de réserve. Nous restons près du commandant car le groupe des corps francs est à sa disposition. Nous sommes 15 dans de jolies (cabanes) très confortables vu l’endroit. Nous passons la journée à visiter les boyaux, les sapes et abris. Demain nous travaillerons.
28 juin – Pas de travail comme on nous l’avait dit. Nous redescendons au camp ce matin et nous parlons d’aller à Tahure – Soir 9 heures : nous partons pour un contournement du côté de Tahure : 5 ou 6 kilomètres de route seulement. Nous arrivons à 11 heures à peu près et nous nous couchons aussitôt. Le plancher est dur, pas de paillasse et l’on dort tout de même.
29 juin – Je me réveille à 9 heures. Je sors. Le soleil est aveuglant, réfléchi par la (care) qui apparaît partout dans la matinée. Un ballonnet arrive des lignes allemandes avec 7 journaux annonçant leurs victoires et les noms des prisonniers de notre régiment. Nous repartons ce soir pour la première ligne. 12 kilomètres de boyaux. Cela va être long.
30 juin – Nous sommes arrivés ce matin à ( ?…/2) Le voyage s’est bien passé. Rien qu’une rafale d’artillerie à 100 mètres de nous pour rompre la monotonie du chemin. J’ai trouvé Georges MARILLIER en cours de route. Il a fait un bout de route avec nous. Dire combien j’ai été content, inutile ! Nous tâcherons de nous revoir. Nous ne faisons rien aujourd’hui car nous ne devons travailler que la nuit. Nous commencerons ce soir par une patrouille de 2 heures. Je viens de recevoir 2 lettres à l’instant : maman, M. Delatour - fourrier du 23°. Je suis très content.
1° juillet – Nous sommes rentrés à bon port. A part la rencontre de boches, nous les avons seulement entendus causer. En rentrant, nous buvons la gnôle et le jus et au lit toute l’après-midi. Ce soir nous faisons un exercice de patrouille.
2 juillet – Nous sommes rentrés à 2 heures de l’exercice et même emploi du temps ensuite. Nous sortons ce soir encore pour du sérieux cette fois.
3 juillet – Nous sommes sortis et rentrés sans anicroche. Nous dormons toute la journée, juste réveillés pour manger. Comme nourriture, c’est très bon mais toujours froid, car nous n’allons au ravitaillement que la nuit. Nous sortons encore ce soir et je crois que tant que nous ne rentrerons pas avec un prisonnier nous irons du côté des boches.
4 juillet – La patrouille s’est bien passée. Couchés, à genoux, debout, nous sommes allés sous les réseaux boches où nous les avons attendus longtemps, mais ils ne sont pas venus. On a lancé pour nous les anneaux de frises de chaque côté. Les boches nous ont mitraillés nous sachant des Français et les Français nous ont mitraillés nous prenant pour des boches. Ils nous ont laissé rentrer tout de même sans nous faire de mal. Comme d’habitude, au lit toute la journée sauf pour manger. Sortie encore ce soir.
5 juillet – Nous sommes restés jusqu’à 3 heures du matin à 20 mètres des boches. Ils nous ont vus et naturellement copieusement éclairés et mitraillés. Nous sommes rentrés encore sans dommages pour dormir, manger et sortir encore ce soir pour un coup de main sérieux avec tir d’artillerie.
Cette sortie est avancée. A 21 h 15 nous étions en première ligne, prêts à partir au pas de gymnastique. Le fusil chargé, la baïonnette au clair passée entre la veste et la poitrine, nous attendions le tir de l’artillerie qui doit commencer à 21 h 30. 21 h 28, encore 2 minutes : tenez-vous – « prêts », nous dit-on… 21 h 30 précises, le premier obus éclate sur la crête où sont les lignes ennemies, à 900 ou 1000 mètres. On fait passer le cri de « en avant ». Après 100 mètres de boyaux, nous bondissons sur le parapet et, tous les 60 que nous étions, comme un seul homme, nous filons au pas de gymnastique, sautant les barbelés, franchis les trous d’obus. Les obus font rage () sur la crête qui se couvre de fumée, de la poudre. En 7 minutes, malgré les barbelés, les trous d’obus, les tranchées démolies, nous arrivons à la première ligne allemande. « En avant, en avant ! » hurle-t-on de tous côtés. Des soldats allemands s’enfuient par les boyaux que nous fusillons à bout portant. Un autre apparaît sur le parapet pour s’enfuir, mais instantanément dix fusils sont braqués sur lui et dix balles le rejettent dans le boyau. Nous avançons toujours en jetant des grenades dans les abris, quand on crie « en arrière ! Il y en a ». En effet des Allemands sortent des cagnas. Les uns sont fusillés, d’autres (8) tombent à genoux, les mains en l’air « camarades ! nicht caput ! »… Nous nous replions avec et 2 mitrailleuses. Nous dégringolons la crête et pas de gymnastique vers nos lignes. Malgré les mitrailleuses qui crachent au-dessus de nos têtes, les mitrailleuses ennemies commencent à travailler. Les balles sifflent autour de nous, la terre vole sous nos pieds, soulevée par les balles. Nous ne prenons même pas la peine de nous baisser ou de passer dans les boyaux, et, essoufflés, les habits déchirés, les mains griffées, nous sautons dans nos lignes. En 25 minutes, tout a été fait, tout le monde rentré et pas un seul blessé. Nous lançons une fusée pour faire cesser le tir de l’artillerie qui a fait rage pendant tout ce temps. Les batteries ennemies lancent maintenant 2 ou 3 obus qui ratent. Comme l’on craint une attaque après ce coup de main, surprise, les lignes sont évacuées et nous nous replions en 3° ligne. Nous avons été félicités par le commandant, le colonel et le général.
6 juillet – Après une nuit à peu près blanche, nous nous levons « frais et dispos » !!!....???. On nous annonce que nous aurons 3 jours de perm à ajouter à la prochaine, plus de l’argent, plus des citations pour un grand nombre.
7 juillet – Journée calme. Nous sommes une vingtaine de cités qui sommes allés à l’arrière des lignes voir des dames américaines qui tenaient à nous féliciter et à nous donner des douceurs. L’une d’elle était la sœur du ministre des Affaires étrangères des États Unis. Nous ne sortons pas ce soir, heureusement, car nous sommes fatigués
8 juillet – journée calme. Ce soir nous allons en patrouille du crépuscule au petit jour, comme d’habitude.
9 juillet – Notre patrouille de cette nuit s’est passée sans anicroche. L’artillerie française s’est mise à taper à la tombée de la nuit avec une force croissante. A 2 heures ce matin, au moment de rentrer, elle faisait rage sur les réserves allemandes et les camps de chevaux signalés par les avions. Tous les obus sont à Ypérite, ce qu’ils doivent prendre en face. On craint une attaque ennemie, aussi, au retour de la patrouille nous nous tenons prêts à nous replier. Toute la journée, notre artillerie tiraille et les batteries ennemies ne ripostent pas du tout. On croît, ce soir, l’attaque pour demain au petit jour. Aussi, à 9 heures du soir, nous évacuons les lignes pour aller occuper, à 6 kilomètres en arrière, de nouvelles positions. Notre artillerie fait rage cette nuit encore et l’artillerie ennemie est toujours calme. C’est à n’y rien comprendre.
10 juillet – l’attaque n’a pas eu lieu et la journée s’annonce calme. Nous pourrons dormir un peu pour rattraper notre arriéré de sommeil. Soir : nous remontons ce soir occuper les lignes.
11 juillet – La nuit s’est bien passée, sauf un peu de pluie. Ce soir, nouveau coup de main dans les mêmes conditions que le 5 mais je n’en suis pas, à ma grande satisfaction, car il me fait mauvaise impression
12 juillet – Le coup de main d’hier soir a raté comme je le craignais, du reste le temps ne s’y est pas prêté. Au moment du départ, un orage s’est abattu sur les lignes aussi les hommes étaient traversés et alourdis par l’eau ce qui les gênaient beaucoup. Et les Allemands, méfiants et malgré le bombardement attendaient le choc en 4° ligne, mitrailleuses en batterie. Résultat : 1 tué, 2 blessés. Aujourd’hui, nous occupons la position de repli devant les Hurlus en attendant l’attaque que nous craignons tous les jours. Il ne reste en première ligne qu’une compagnie qui est à peu près sacrifiée.
13 juillet – Rien de vaillant aujourd’hui. Nous montons la garde jour et nuit à la nouvelle ligne.
14 juillet – Journée calme. Nous avons touché aujourd’hui le petit supplément prévu. C’est tout ce qui nous fait remarquer que nous sommes le 14.
15 juillet – L’attaque s’est déclenchée ce matin à 4 heures. Depuis minuit l’artillerie a fait rage. La nôtre plus peut-être encore que l’artillerie adverse. J’ai cru que jamais nous ne sortirions vivant d’un pareil enfer. L’horizon était illuminé sans discontinuer et parfois le roulement des batteries était plus rapide qu’un tir de mitrailleuse. De tout côtés les obus de gros calibre lançaient la terre en l’air. Toute la région était couverte de fumée de poudre au point de rendre l’ait irrespirable. Jusqu’à 5 heures le canon a tonné ainsi sans interruption. L’attaque allemande brisée s’est arrêtée devant nos lignes. Ce qui restait des vagues d'assaut ennemies s’est terré et à midi a été relevé par des troupes fraîches. La canonnade c'est ralenti puis s'est presque arrêté toute la journée. Nous n'avons pas eu le ravitaillement aujourd’hui.
16 juillet – Nous avions peur que l’attaque recommence aujourd’hui mais il n’en est rien. Quelques rafales d’artillerie, c’est tout.
17 juillet – Même journée qu’hier. Tout va assez bien mais pas beaucoup de repos.
18 juillet – Nous allons occuper les 2° lignes. J’ai pu dormir un peu aujourd’hui et ce n’est pas dommage. Ce soir nous retournerons occuper les 1° lignes après avoir reçu une averse. Je suis trempé comme un canard et sale. Quand pourrais-je me nettoyer.
19 juillet – Nous occupons un petit emplacement dans un taillis passablement bombardé. Rien de cassé quand même. Je m’aperçois ce midi qu’on m’a volé mon appareil photographique. J’ai un cafard terrible et souffre moralement autant que les premiers jours que j’ai passé à l’instruction.
20 juillet – Nous sommes montés hier soir aux avant-postes à 800 mètres de nos lignes. Nous sommes un peu près des lignes ennemies mais nous ne sommes pas bombardés, c’est un avantage. Nous occupons un petit poste dans un boyau.
21 juillet – Nuit calme et journée également., mais j’ai sommeil
22 juillet – Rien d’intéressant.
23 juillet – Toujours au petit poste et nous désirons ardemment la relève. Soir : Nous allons en patrouille une dizaine pour tâcher de rapporter une cocarde d’un avion allemand abattu entre les lignes. Pendant 30 mètres nous rampons à plat ventre dans l’herbe encore imprégnée de gaz qui prend à la gorge. Les mitrailleuses allemandes tirent une rafale de temps en temps. L’on baisse le nez quand les balles sifflent et l’on repart. Nous descendons une petite crête puis nous traversons une piste pour nous arrêter à 100 mètres de l’avion que nous distinguons maintenant dans l’ombre. Un bruit de voix étouffées nous parvient et des grincements de métal. Nous arrivons trop tard, ce sont les Allemands qui entraînent l’avion dans leurs lignes. Nous rentrons rapidement et nous sommes relevés pour retourner en 2° ligne. Quelle satisfaction !
24 juillet – Repos aujourd’hui dans une cagna
25 juillet – Nous passons la journée et la nuit dans un boyau couchés dans des trous sous le parapet.
26 juillet – Ordre arrivé à 9 heures de monter aux avant-postes. Nous devons progresser dans les boyaux. Après 200 mètres de marche en rampant nous rencontrons le petit poste ennemi que nous ne pouvons franchir. Après une lutte de quelques minutes à coup de grenades, nous faisons un barrage dans le boyau et nous nous terrons derrière. La position n’est pas agréable : en creusant j’ai déterré un cadavre de soldat allemand qui reposait là depuis 1915. C’est affreux, je l’ai vite recouvert pour creuser ailleurs. A côté de nous 2 français tués il y a 10 jours et à peine recouverts sont en décomposition. Des tribus de vers traversent le boyau pour aller à la curée. C’est écœurant.
27 juillet - Nous avons passé la nuit ici sous la pluie. Nous sommes transis de froid et je tombe de sommeil. Heureusement, nous sommes relevés ce soir.
28 juillet – Nous sommes arrivés à 2 heures ce matin dans le camp G à environ 6 kilomètres des lignes. Nous avons pu dormir sur des paillasses. Quel bonheur. Aujourd’hui nous passons la journée à nous laver, à brosser les habits et nettoyer les armes.
29 juillet – Repos encore et nettoyage toujours. Nous passons aux douches et changeons de linge. Je ne suis pas fâché de laisser mes « totos ». Nous remontons ce soir en réserve.
30, 31 juillet 1,2 août - 4 jours de réserve dans une bonne cagna avec seulement 3 heures de travail chaque nuit. Le secteur redevient tranquille et nous sommes un peu reposés. 2 août au soir : nous montons occuper les 2° lignes.
3 et 4 août – nous redescendons en réserve après 2 jours de lignes qui se sont très bien passées. Nous n’avons pas été bombardés du tout.
5,6,7,8,9 et 10 août – 6 jours de réserve bien tranquilles. Nous remontons le 10 au soir en ligne.
11 août – Nous sommes dans une bonne cagna près d’un poste d’observation. Nous pouvons voir les lignes boches et très en arrière l’on voit circuler les voitures et les soldats allemands sur les pistes. On nous dit ce soir que le groupe franc est reformé. Demain matin pour un nouveau coup de main.
12 août – journée calme mais étouffante de chaleur. Nous sommes dans des cagnas à part pour nous reposer. Ce soir nous sortons repérer le petit poste boche (à ?????).
13 août -La patrouille s’est déroulée sans encombre. Par des boyaux à moitié comblés par les obus, pleins de débris et engins français et allemands, nous sommes arrivés à 50 mètres du petit poste boche. Nous les entendons parler et tousser distinctement. Au jour nous sommes rentrés sans encombre après avoir examiné et étudié le terrain. Nous sortons encore ce soir pour nous rendre compte de l’état des réseaux barbelés.
14 août – Nous nous sommes avancés hier soir encore plus près du petit poste sans avoir de renseignements plus précis. Le coup de main sera paraît-il dans la nuit du 16 au 17. Jusqu’à ce moment : repos.
15 août – Repos sur toute la ligne. Je crois que ne rien faire me fatigue.
16 août – Repos encore. C’est pour ce soir. Nous commençons à discuter des chances de succès et presque le triomphe. On nous a promis si le coup réussit une citation, une permission de 6 jours immédiate et 100 francs.
17 août – Nous sommes partis hier soir à la nuit et nous avions 300 mètres à faire pour arriver au petit poste boche. En rampant sans bruit, nous avançons vers le petit poste que nous apercevons confusément au clair de lune. Nous coupons 5 réseaux barbelés et il nous en reste plus qu’un maintenant à 20 mètres du petit poste. La lune s’est couchée, heureusement ! et la nuit est plus sombre maintenant. Il est à peu près 2 heures du matin. Plus doucement encore nous coupons le dernier réseau et nous nous massons de l’autre côté. Sans être entendus nous avançons jusqu’à 2 mètres de la tranchée boche. Une troupe passe qu’on entend causer à voix basse. Alors, d’un saut, nous sommes dans la tranchée sur les boches qui hurlent de peur. Quelques-uns restent de sang-froid, nous tirent des coups de fusil à bout portant, puis tous se réfugient dans un abri à 10 mètres de là et nous mitraillent à coup de grenades. Une d’elles éclate à mes pieds, me blessant à la jambe. L’alerte maintenant est donnée. Les fusées illuminent le ciel, les mitrailleuses crépitent rageusement. Nous sommes tous dispersés. Resté avec un camarade, nous laissons passer les rafales de mitrailleuses puis le tir se ralentissant et entre deux fusées nous remontons le parapet. En rampant et en courant nous arrivons enfin vers le groupe de résistance. Là, une pause et comme je ne peut marcher qu’avec peine mon camarade m’a emporté.
18 août – A midi je suis à (Auve), les éclats retirés et dans un bon lit.
19,20,21,22,23,24 août – 6 jours de repos et de petits soins. Que c’est bon après 50 jours de ligne.
25 août – Un train sanitaire passe ce matin. Tous ceux qui vont bien direction LYON. De temps en temps le train s’arrête pour compléter le chargement. A la nuit, nous sommes à VITRY le FRANCOIS. Le train va maintenant rouler sans autre arrêt que pour les repas.
26 août – à midi, nous sommes à LYON. On nous dit maintenant que nous allons à GAP et GRENOBLE.
(FIN du carnet)