Envers et contre tout
« Les vieux ne parlent plus... »
Gamin, ce Brel. Et s'il avait vécu ?
Médecine sans âme, traitement standard
bientôt le lit : l' ehpad, vie à part.
Redevenu enfant, paroles, questions.
« Il a mangé, et sa boisson ?
Cacochyme vieillard, jusqu'à la fin, les soins
« Il a déjà eu une couche ce matin »
le premier cercle, Dante, juste avant
Médecins et leurs séides : dominants,
nurses tristes, fatiguées, dominées.
Négligeant des corps épuisés,
ignorant ce qu'ils furent
les œuvres aimées : littérature
poésie surtout : c'est beau
Arthur Rimbaud
Hugo ou Du Bellay, Villon
Baudelaire, Aragon.
Même ils pourraient dire encore, au final
Des poèmes entiers, el desdichado, Nerval
Ils se savent déjà dans ce bateau
ivre, celui d' Arthur, des vers qui dansent
« …, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau »
d’autres choses : ce que nous fumes
temps de guerre, bébés, enfants,
« des cieux crevants en éclairs, et les ressacs et les courants… »
lointains souvenirs que l'on exhume ...
après-guerre : peu d’argent, souvent : tristes logis,
sinistres : wc au couloir, cabane au jardin; bougies.
Puis des années splendides : victoire
temps heureux, joyeux, fraternité : espoir,
richesses parfois partagées,
liberté, Insouciance : quelques années.
« J’aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d’or, ces poissons chantants.
Des écumes de fleurs ont béni mes dérades
Et d’ineffables vents m’ont aillé par instants »
Il fut un fol espoir :
plus d’espoir,
Sa fin fut amère : nobles principes, empathie
Individus, industriels, financiers, mercantis.
Face à eux le mépris, d’abord,
l’impuissance, bientôt, et encore.
Rien à faire, même si l'on s'efforce
c'est l’âge : plus de forces..
et la fin du poème :
« Mais vrai, j’ai trop pleuré. Les aubes sont navrantes
Toute lune est atroce et tout soleil amer.
L’âcre amour m’a gonflé de torpeurs enivrantes.
Oh ! que ma quille éclate, oh ! j’aille à la
mer. »
« Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache
Noire et froide, où, vers le crépuscule embaumé,
Un enfant accroupi, plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai »
« Je ne puis plus, bercé de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons
Ni traverser l’orgueil des drapeaux et des flammes
Ni nager sous les yeux horribles des pontons. »
***
C’est dit, pour mes obsèques, ce sera l’intégrale des 24 strophes du Bateau Ivre. Comprenne qui
peut, bien fait pour vous …