Fruitière 1900 ... et en 1900, une autre fruitière.
J’avais bien aimé ma visite à celle de Thoiria, où tout était là, à quelques détails près : pochons en plastique aux normes sanitaires ou moteur pour brasser le caillé. Le jeune fromager était sympa, la discussion s’engagea, et, inévitablement, à la suite, l’histoire de mon grand ’père me revint.
Je ne l’ai, bien sûr pas connu : pensez : il est parti très tôt, très jeune, alors que ma propre mère n’avait que 4 ans ; c’était en 1906. Il sortait, je crois de l’école laitière de Mamirolles et était devenu le fromager de la fruitière de Loulle. Ma mère y avait vu le jour.
A l’époque un fromager adroit était un homme riche, rémunéré par un pourcentage sur le fromage vendu, selon sa qualité.
Le travail, que je revoyais à Thoiria, me faisait imaginer sa vie : la vapeur, l’air saturé, la chaleur et les efforts physiques : tourner le caillé, lever la plonge, la pressée, la meule que l’on soulève et retourne 10 fois, cent fois peut-être : à l’époque, l’affinage se faisait sans doute sur place !!!
Il fallait une sacrée santé, lui ne l’avait peut-être pas.
J’en finit avec mon aïeul : après tout, il m’est inconnu, au mieux, il doit se cacher dans une circonvolution ou une bizarrerie de mon tortillon d’ADN.
Revenons à la famille. Un fromager, c’est le pain quotidien du village : tous les jours on doit traiter le lait. la mort subite du fromager, c’est une grosse perte, pour tout le village. Il faut en trouver un, vite. Le logement allait avec la place, la famille dû partir, sans doute assez rapidement. Je ne pense pas que les gens soient des monstres, je n’imagine pas que les choses se soient faites rudement, mais n’empêche, cela fût : La veuve, enceinte de son 4°, les trois orphelins, les meubles sur la charrette.
Une chance, elle n’était pas dans le besoin : le couple avait déjà une maison « bourgeoise » à BONLIEU (les « petites Chiettes », selon l’appellation d’alors). La maison fut louée au fonctionnaire du lieu, receveur du Trésor public si j’ai bien retenu ce que me disais ma mère, et la famille loua, pour son usage, une simple remise.
Une ou deux pièces à l’étage peut-être, au-dessus de ce qui abritait la vache. La vie
repris, le chien pour tirer la remorque et la petite bouille pour aller au chalet. Peu d’argent, mais, ma grand-mère, excellente femme, réussit à mener l’instruction de tout son
petit monde jusqu’au Brevet (une grande chose à l’époque). Toutes rentrèrent dans la fonction publique : deux aux Postes, ma mère au Trésor public. Le garçon, lui, mourut à la Guerre.
Voilà pour l’histoire familiale, je n’aurais pas dû mettre les pieds dans une fromagerie d’époque ni parler de mon grand-père.Tant pis, ça m’a permis de me souvenir aussi de ce que me racontait ma mère, sa vie : c’était peu fréquent.
A Bonlieu, elle me m’avait montré la remise où elle avait passé sa jeunesse. Elle se cache désormais sous le
lierre, abandonnée.
Une fois, « sur le tard » comme on dit : c’était une de nos dernières balades, nous étions passé à LOULLE. La fromagerie était ouverte. Dans l’ancienne salle de fabrication, abandonnée, il restait une étagère au-dessus du banc de travail. Un de ses tout premiers souvenirs de petite fille lui revint : c’est là que son père, pendant son travail, l’asseyait avec un petit morceau de rognure (du fromage fraichement pressé) pour l’occuper. Peu de temps après, en sortant de la fromagerie et reprenant la route, elle me dit quelques mots, souvenir rare ou caché de son enfance : elle quitte le village, elle marche derrière la charrette, son grand frère lui tient la main.
Pas d’émotion inutile… mais de temps à autre, j’évoque et je me dis que je serais bien morveux si je trouvais sujet à me plaindre pour quelques aléas de vieillesse