29 novembre : lettre d'ailleurs
Très cher ami,
Mon séjour en royaume de France sera, à coup sûr, plus long que souhaité, retardant ainsi le moment où nous pourrions passer nos soirées à débattre des étranges coutumes de ces contrées. Ces quelques lettres anticipent ces instants attendus.
Je suis arrivé ici en pleine effervescence : le Grand Mal qui subsiste et serpente au travers de la planète se réveillait quelque peu, plongeant ce pays dans un état proche de la catalepsie. Je dû, à mon entrée, me soumettre à quelques singeries médicales destinées à vérifier ma santé, censées me protéger de la maladie, et attendre, isolé et seul, quelques jours avant d’être autorisé à vaquer. Je n’ai donc, aujourd’hui, vu de ce pays que les images et causeries diffusées par les étranges lucarnes qui, à journée faite, décrivent le Monde tel qu’il y est perçu.
Dans ce puissant et riche pays on n’est que crainte, et la grande épidémie prend les allures effrayantes des pestes d’antan. Mort et maladie terrifient le peuple tandis que gouvernants, médecins et savants vivent dans la peur que l’on puisse leur imputer la moindre responsabilité dans les aléas de cette affaire : on cache son ignorance, on minimise ou accentue faits et nombres à l’excès, jusqu’à cesser d’être crédibles. Entre craintes infondées et incertitudes, les gens se recroquevillent sur eux même, soumis et prêts à toutes injonctions et contraintes, prêts même à fustiger leurs semblables quand ils s’avisent de défier les autorités auxquelles, faute de mieux, la majorité reconnait science et savoir.
On se focalisait, ces jours, sur une variante du Grand Mal, dont on craignait qu’elle envahisse les provinces, qu’elle oblige à revenir à un enfermement général, empêchant la tenue de joyeuses fêtes de Nativité et fin d’année. La terreur ainsi entretenue permis au moins de justifier les récentes et nouvelles contraintes imposées par le Médecin du Roi.
On apprit que plus tard que cette forme nouvelle de la maladie ne provoquait guère, dans les pays où elle était déjà établie, que les inconforts d’un rhume hivernal.
Les choses restèrent en l’état et l’on discuta d’autre chose : on se préparait déjà aux élections qui, dans ce curieux pays, désignaient le dépositaire du sceptre royal, roi ainsi élu par ses sujets … Mais ceci est une autre histoire …
30 novembre lettre du jour ..
Très cher ami,
Hier, je t’avais dit ma perplexité devant l’agitation des chroniqueurs à l’approche des élections devant bientôt conduire à la désignation d’un nouveau Roi. J’ai pu, avec moult précautions imposées, me faire expliquer cela par un collègue d’infortune.
Il m’expliqua que l’opinion des sujets s’éparpillait désormais en une multitude de petits groupes se réclamant de l’un ou l’autre des meneurs déclarés, tous candidats pour remplacer l’actuel souverain.
Il ne s’agissait plus, comme cela se faisait antan, de disputer entre proches du petit peuple ou amis des puissances d’argent, mais, chaque petit sujet ou opinion déviante faisait débat et faisait se ranger les sujets derrière l’un ou l’autre des candidats.
Côté procédure, après des mois et des mois de stériles mais féroces affrontements verbaux, on procédait au vote désignant au final le futur monarque. Ce dernier demandait alors que l’on renouvelle le Parlement pour le faire à son image. Tous deux, ainsi, mariant pouvoirs exécutifs et législatifs, tenant également les juges par la laisse de leurs intérêts de carrière, pouvaient gouverner le pays de la plus absolue des manières. A bien y regarder, leur pouvoir n’était que façade. N’ayant aucune prise sur les échanges, le commerce et les industries, le pays comme tout les autres sur cette planète vivait au rythme et selon désirs ou intérêts des puissances d’argent.
Je me fis expliquer aussi quels étaient les multiples postulants. On me dit que, parmi les partisans affichés du petit peuple, on s’était divisé sur quelques sujets annexes ou doctrines anciennes, et aussi sur l’ambition annoncée de l’un ou l’autre de leurs tribuns. Parmi les partisans de l’ordre et de la bonne marche des affaires, après la division entre pays ouvert ou rejet des étrangers, on s’était éparpillé entre les multiples nuances de ces deux opinions. L’affaire était sensible, de plus en plus de pauvres réfugiés se pressaient aux frontières, on supputait que la crainte de trop nombreuses arrivées ferait différence et pourrait emporter les votes utiles : cela multiplia les espoirs et le nombre de candidats, faussant ainsi le jeu habituel.
Ce débat avait précipité sur le devant de la scène un curieux personnage, triste figure de chauve-souris, chroniqueur de son état, doté d’une certaine faconde et d’un habile langage. Quelques puissants mécènes s’étaient tout d’abord rangés derrière lui, mais, voyant fléchir son aura ou le voyant commettre quelques bévues, hésitaient désormais ou se retiraient. Néanmoins ce petit homme devait se déclarer candidat dans de prochaines heures : c’était l’affaire du jour !!! Dans d’autres cercles, proches de la nature, on se jetait à la face la complaisance que certains avaient pu manifester à l’égard des appétits et des débordements d’un ancien meneur. Le théâtre électoral ressemblait ce jour-là aux comédies des Italiens d’antan.
Le Roi actuel, pendant ce temps, ne disait rien. Le Grand mal, ses effets ou les contraintes de la lutte : il envoyait son Médecin aux lucarnes. On se battait dans les colonies : il envoyait un ministre. Ces derniers ne chômaient pas : ils courraient les départements, même les plus petits, pour porter partout promesses, belles paroles et engagements qui, bien sûrs, ne pourraient être tenus qu’après les élections.
Le Roi gagnait ainsi du crédit, se réservant visites au Saint Père ou cérémonies d’hommage.
Les parieurs misaient tous sur sa future et triomphale réélection.
1° décembre : en campagne ...
Le premier décembre …
Cher ami,
Je suis resté encore toute cette journée dans ma chambre, regardant alternativement un ciel de neige et les images animées de ce curieux monde.
On y attendait la déclaration de candidature au pouvoir suprême de cet étrange petit homme dont je t’ai parlé hier. Il paru tout d’abord en se produisant dans une courte saynète. On le voyait, tête penchée sur le discours qu’il lisait d’une voix posée mais faible, trop pour des idées trop grandes, pour lui comme pour ce siècle. Il parlait de sauver le pays, d’incarner l’espérance, mais, l’étrange tête que je t’ai décrite faisait immanquablement penser à ces vers de leur grand poète :
« .. où l’Espérance, comme une chauvesouris,
S’en va battant les murs de son aile timide,
Et se cognant la tête à des plafonds pourris. »
Las, il avait trop usé de références et d’images de très grands ou de célébrités ne pouvant certainement pas être de son camp ni approuver ses idées… Il reçut, de tous côtés, une belle volée de bois vert … Cela donna de l’espoir à ses concurrents les plus directs.
Dans un autre camp, on comptait tout un panel de candidats à la simple candidature et cherchant à se faire désigner comme représentant unique. A voir tant de gens aux idées semblables se bousculer et disputer ainsi, on se prenait à penser qu’il eut été plus raisonnable de jouer l’affaire aux dés.
Du côté de l’ancien roi, tout allait pour le mieux, ses féaux et affidés se regroupaient et se préparaient au combat. La contagion et le Grand Mal allaient leur train, justifiant les mesures impopulaires prises par le Médecin du Roi les semaines passées. Les commerces et industries étaient dans la tourmente, la pauvreté rongeait le royaume. Mais le Roi, lui, avait le beau rôle. Il fit porter au temple de la Nation le supposé cercueil d’une artiste noire qu’il avait élevé au rang de symbole de vaillance et d’égalité. Cette grande dame pris place au Panthéon de leur Nation et ce fut l’occasion d’un grand discours du Roi, de belles images toutes bénéfiques pour son prestige, bien trop éloignées des malheurs et des incertitudes du temps… Le Roi, en lice pour sa réélection faisait campagne à côté de la campagne : le concept était hardi et novateur !!!
2 décembre : la maladie ...
Très cher ami,
En arrivant dans ce pays, je m’étais volontiers prêté aux examens de santé que l’on m’avait demandé. J’avais, de plus, pris cette potion, à laquelle on attribuait le pouvoir de garantir contre les effets du Grand Mal ou du moins contre les plus délétères. Cela devait aussi, m’avait-on dit, me permettre d’obtenir une sorte de blanc-seing m’autorisant à accéder librement aux endroits et lieux de culture que je me proposais de visiter au plus tôt.
Je l’attendais encore en me morfondant et je me fis expliquer les arcanes de ce curieux système.
On m’apprit que, redoutant un nouvel assaut du Mal, on devait prendre de grandes précautions. Et l'on avait décrété qu'on ne pourrait rien faire sans blanc-seing prouvant soit que l’on était exempt de maladie, soit que l’on avait ingurgité la fameuse potion. Les docteurs, eux-mêmes devaient l’avoir ingurgité pour porter la robe et secourir les pauvres malades. Mais on me dit aussi que la chose n’était ni garantie complète ni même certitude qu'on ne pouvait transmettre ses miasmes à son voisin. J’en demeurais pantois.
Je demandais aussi comment l’on faisait pour suivre aussi finement les désordres de la maladie. On me répondit que l’on comptait, chaque jour, le nombre de gens qui, s’étant fait examiner, avait révélé des traces de la maladie. Rapportant ce nombre aux populations des contrées, on exhibait ce chiffre comme valeur certaine, propre à conduire la lutte contre l’épidémie et à justifier toute mesure. On parlait même ces temps d’un nouvel enfermement pour la fin de cette année : on avait compté, depuis deux jours, un nombre considérable et une soudaine augmentation du nombre de gens porteurs de maladie. L’alarme fut donnée et les gens prenaient peur : on fit venir aux lucarnes des savants, des mathématiciens, costume de ville et non robe de médecins, visages fermés, pour commenter la sinistre nouvelle. On oublia de dire que la monstrueuse augmentation du nombre d’infectés potentiels suivait presque fidèlement celle des personnes qui, par obligation nouvelle ou par crainte provoquée s’étaient fait examiner. On était, en ces temps, bien loin des terribles débuts et du premier assaut du Grand mal.
Je compris que l’on cherchait, par peur, à obtenir du peuple qu’il fut d’une prudence extrême et qu’il prit sans rechigner une nouvelle ration de potion. Mais ainsi, à ne pas faire appel à la simple raison, ou à crier au feu à toute occasion, on ne se hausse pas et l’on manque parfois son but.
La comédie jouée me parut aussi médiocre que la farce politique que je te racontais hier.
3 décembre : piloris ..
Très cher,
Un temps détestable et une atmosphère pesante fut mon lot ces derniers jours, je m’en voudrais de t’imposer encore le compte rendu débilitant des malheurs de ce royaume.
Je cherchais hier quelques lectures plus plaisantes. Faute de trouver les bons ouvrages que nous connaissons, j’ai feuilleté les journaux illustrés semés à maints endroits dans mon logis. Je fus surtout surpris par le nombre de relations d’affaires graveleuses concernant célébrités, précepteurs ou diacres.
Il est vrai que la fin du siècle dernier avait été de grande liberté dans les pratiques amoureuses. On pratiquait, dans les contrées occidentales, à couilles rabattues, mécaniquement, sans distinction d’objet et l’on en faisait même théâtre. L’époque fut aux débordements et cela fit l’affaire de tout ce qui pouvait se trouver de célébrités ou gens de pouvoir. Ils purent profiter sans retenue de ce que la chose fut devenue banale pour imposer leurs vils désirs.
J’appris qu’en ces temps on revenait à des pratiques plus équitables : les innocentes victimes reprenaient la parole et étaient entendues. On vilipendait les sordides pratiques des puissants d’hier, on étalait leurs méfaits, des pires aux plus ordinaires. Ce n’était certes que justice. Mais les échotiers y virent source de fabuleux profits. D’autres y trouvèrent une heureuse diversion aux menaces qui pesaient sur le pays ou à notre sombre avenir.
Cette juste croisade fut tellement relayée qu’elle envahit l’espace, groupant le peuple autour de quelques puissants cloués au pilori, et oubliant au passage la multitude des violences et souffrances ordinaires des plus faibles parmi le peuple.
Pendant ce temps, les affaires continuaient, toujours libres et mécaniques. On avait rangé poèmes et romans, le sexe seulement faisait littérature. A lire cela, on croyait voir les chimpanzés du zoo que nous avions visités : morts d’ennuis, ces singes pratiquaient à journée faite, au vu de tous, pour passer un temps sans but ni consistance.
Je songeais à nos poètes, aux jardins de Perse, à leurs anciens poètes aussi : j’ai pris, dans ce petit volume qui ne me quitte pas, Arthur Rimbaud et son « rêvé pour l’hiver ».
4 décembre : folies orientales...
Mon ami,
Quelques mots aujourd’hui qui ne nous réjouirons pas.
Le Mal reprenait dans la vieille Europe et chacun fermait ses frontières aux grands voyageurs. Je serai bientôt prisonnier en ce pays avant d’en avoir visité les lieux et monuments illustres.
Le Roi, lui, en était exempt.
Il partit hier pour l’Arabie visiter l’un de ces princes du désert, chef d’une tribu guerrière régnant sur les sables.
Au siècle passé, ces royaumes n’avaient aucun poids. La découverte, sous les sables couvrant leur pays, de quantités extraordinaires d’huile de roche les avaient fait passer au premier plan. Il s’agissait du précieux carburant alimentant toutes les machines et tout les véhicules de ce siècle.
Une gestion avisée et bénéfique de cette manne providentielle, des avoirs, grâce à elle accumulés, avait fait d’eux de puissantes nations, et de nombreux pays leur étaient redevables. Riches plus que tous autres, les rois d’Arabie construisaient sur le sable des tours plus hautes que celle de Babel, achetaient tout, musées et monuments, sportifs et évènements, mais aussi les places à leur convenance dans le concert des Nations et parmi les dirigeants de ce Monde.
Le Roi leur fit visite afin de leur vendre une bonne quantité des plus récentes et onéreuses armes produites sur la terre de France. Les sommes d’argent étaient gigantesques et, bien qu’il ait été, en l’occurrence, un simple voyageur de commerce, il s’en fit gloire.
Las, ce prince des sables, que l’on avait présenté jadis comme un monarque éclairé, s’était bientôt montré sous son vrai jour. Ne supportant aucune contestation, un chroniqueur hostile avait été odieusement massacré. Il tenait son pays dans la plus rigoureuse et stricte observance religieuse, les plus ordinaires libertés étaient refusées à nos consœurs et l’on y appliquait encore des châtiments légaux épouvantables, dignes des cruautés barbaresques d’antan.
A voir ainsi le Roi de France faire bonne figure et commerce d’armes avec le souverain absolu d’un tel pays, les grands esprits de France, lumières du Monde, auraient sans nul doute tourné le dos.
5 décembre : jour pluvieux, pas heureux...
Cher ami,
Jour pluvieux et triste, les gazettes ne font décidément rien qui puissent me rendre mon humeur joyeuse.
Hier, on apprenait la mort d’un grand défenseur de la nature, zélateur d’une simplicité heureuse. Il se tenait à l’écart des menées incertaines de nombres de ses homologues, avides de célébrité ou de pouvoir. Il était né en Alger, sur une terre aride. Il avait appris à la rendre fertile, sans artifices et malgré une maigre irrigation. Il avait aussi appris la valeur de la solidarité au sein de la tribu. Il prêchait d’exemple au sein de petits villages, fréquentait quelques cercles, trop discret pour ce siècle de turbulences infructueuses. Mais la perte d’un esprit simple et bon laisse parfois un grand vide.
Toujours aussi navrant, on fit rapport du voyage du Souverain Pontife, chef de l’église romaine, vers l’empire romain d’Orient. Il y salua, malgré le schisme, les patriarches de leur église.
L’aura de ce Pape n’était plus celle des temps passés. On prêchait dans des églises désertes, prêtres et diacres n’étaient plus respectés ni, trop souvent, respectables. Et lui-même avait fort à faire pour tenir une Cour agitée par les menées de quelques Princes de l’Église.
Il parla là-bas de ces pauvres hères qui se pressaient aux frontières de la vieille Europe dans l’espoir d’y trouver refuge. Les guerres avaient détruit tout l’Orient, du Pays des Cèdres jusqu’aux montagnes de Perse. Leurs maisons écroulées ou brûlées, hommes femmes et enfants menacés de mort avaient fui. Quand, malgré les dangers, ils étaient parvenus sous des cieux plus cléments, il se trouvaient parqués dans des camps de désespérance. Pire, à l’autre bout de la mer intérieure, on contenait d’autres miséreux et l’on avait même chargé les pires barbaresques, assassins et esclavagistes, de cette abominable besogne.
La mesure était comble, le Souverain Pontife fit son œuvre de simple prêcheur de bonne parole. Sa voix ne porta pas.
Plus léger : dans le royaume, on fit une nouvelle fois ouvrir le temple des grands hommes. On y avait fait entrer, il y a peu, un cercueil vide. Il fallait, ce jour ci, remplir celui, vide également, d’un Général, fidèle de l’Empereur auto proclamé et auto couronné, qui avait fait édifier ce temple.
L’homme ayant péri dans les plaines russes, le nouveau Tsar nous en restituait les restes : son cercueil les attendait depuis deux siècles. On fit avec cérémonie et un Ministre fut dépêché, le Roi, paraît-il, admirait l’Empereur et sa glorieuse époque.
On fit même coïncider la date de l’évènement avec celle de son couronnement, d’une de ses glorieuse victoire et du coup d’état perpétré pas son neveu … C’était assurément un peu trop : on avait beau mettre en avant son Code Civil, on oubliait un peu qu’il s’agissait seulement de mettre en bon ordre les préceptes et principes en usage chez de bons bourgeois et les maitres d’industrie ou commerce. On oubliait surtout qu’il avait mis à bas la République issue de la Révolution française et ses idéaux de liberté ou Fraternité….